• Le Malien Michel Sidibé, directeur d'Onusida, évoque les liens entre pénalisation de l'homosexualité et propagation du VIH dans le monde, à l'occasion d'une visite de travail à Paris.

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    Le directeur exécutif d'Onusida (programme émanant des Nations-Unies), Malien, spécialiste de santé mondiale, était à Paris cette semaine. L'occasion d'une rencontre avec Najat Vallaud-Belkacem, la ministre qui prépare un plan contre l'homophobie, mais surtout de lancer le groupe de travail de l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) sur la dépénalisation mondiale de l'homosexualité, coordonné par le journaliste Frédéric Martel. Enjeux et défis de la lutte contre le Sida et du combat contre l'homophobie : Michel Sidibé a répondu à nos questions.
     
    Vous avez participé, lundi, à un débat qui a abordé, entre autres, la question de la dépénalisation de l'homosexualité. Que représente, en tant que directeur exécutif de l'Onusida, votre participation à ce groupe et que souhaitez-vous y apporter ?
    Dans de nombreuses régions du monde, les lois et pratiques punitives à l'encontre des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transsexuelles continuent de bloquer les ripostes efficaces au VIH. Il est essentiel d’en parler, de sensibiliser et de se réunir pour appuyer ensemble la révision de ces lois. Il y a actuellement 79 pays, territoires ou régions où il existe encore des lois qui criminalisent les relations homosexuelles entre adultes consentants. De nombreux cas de violations des droits de l'homme ont été recensés, allant du refus de l'accès aux services de santé à l'interdiction de la liberté des associations, en passant par le harcèlement, les violences et les meurtres. Le rôle des Nations Unies et de l’Onusida en particulier est de faire la lumière sur ces questions et d’alerter les états et l’opinion publique afin que les choses changent.
     
    Croyez-vous à une résolution de l'ONU pour la dépénalisation universelle de l'homosexualité comme François Hollande l'a prônée en tribune de l'Assemblée générale de l'ONU la semaine dernière ; à la fois dans les chances pour cette résolution d'aboutir et dans les effets qu'elle pourrait avoir?
    La dépénalisation de l'homosexualité amènera la dignité et le respect à une partie importante de la société qui a longtemps été marginalisée.

    Il y a déjà eu de grand progrès. En juin 2011, le Conseil des Droits de l'Homme a adopté une résolution qui rappelait la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en proclamant que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits, et que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qui y sont énoncés, sans distinction aucune. Il s’est dit aussi gravement préoccupé par les actes de violence et de discrimination commis dans toutes les régions du monde contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre. Le Conseil des Droits de l'Homme a également demandé au Haut-Commissaire de faire établir une étude pour rendre compte des lois et pratiques discriminatoires, ainsi que des actes de violence commis contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre ; ceci dans toutes les régions du monde, ainsi que de la manière dont le droit international peut être appliqué pour mettre fin aux violences et aux violations des droits de l’homme fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.

    Le rapport, présenté en mars 2012, appelle tous les pays à dépénaliser les relations entre personnes de même sexe consentantes et à veiller à ce que toutes les personnes puissent exercer leur droit à la liberté d'expression et leur droit d'association et de réunion pacifique en toute sécurité et sans discrimination.

    L'an dernier, lors de la Réunion de haut niveau de l'Assemblée Générale des Nations Unies sur le Sida, les Etats-membres se sont engagés à réviser les lois et les politiques qui "compromettent la prestation réussie, efficace et équitable des mesures de prévention du VIH, de traitement, de soins et de soutien". L'Onusida encourage tous les pays à traduire cet engagement en actes afin de protéger les droits humains et les besoins en matière de santé de toutes personnes.

    Quel lien faut-il faire entre l'avancée du VIH dans le monde et la répression de l'homosexualité ?
    Nous ne réaliserons jamais notre vision de zéro nouvelle infection, zéro discrimination et zéro décès lié au Sida à moins de réussir à faire en sorte que les personnes ne soient pas diffamées et pénalisées en fonction de leur orientation sexuelle.

    Dans de nombreuses régions du monde, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes et les personnes transsexuelles connaissent une forte prévalence du VIH. Les lois qui criminalisent les relations homosexuelles entre adultes consentants constituent de sérieux obstacles à une riposte efficace au Sida et conduisent les personnes homosexuelles, bisexuelles ou transgenres à vivre cachées, les privant ainsi d'un accès pourtant vital aux services de prévention et de traitement du VIH.

    46% des quelques 15 millions de patients ayant besoin d'antirétroviraux dans les pays pauvres et à revenu intermédiaires n'ont pas accès aux antirétroviraux. Comment réduire ce chiffre ?
    En 2011, plus de 8 millions de personnes séropositives dans des pays à revenu faible ou intermédiaire ont bénéficié d’une thérapie antirétrovirale, contre 6,6 millions en 2010 soit une augmentation de plus de 20%. Si nous maintenons notre détermination, la communauté internationale est en voie d’atteindre l’objectif établi par la Déclaration politique sur le VIH et le Sida 2011, adoptée à l’unanimité par les Etats Membres des Nations Unies : 15 millions de personnes séropositives sous traitement d’ici à 2015.

    Placer plus de 8 millions de personnes sous traitement est une réalisation majeure. Il y a à peine dix ans, avoir des millions d’individus sous traitement dans les pays à revenu faible ou intermédiaire était un rêve incroyable. L’activisme et la solidarité mondiale ont fait de ce rêve une réalité. Mais parvenir à mettre les 7 millions suivants sous traitement sera une tâche encore plus difficile, car les personnes pénalisées, marginalisées et exclues seront nombreuses. Nos efforts pour atteindre chaque personne nécessitant un traitement ne sont pas uniquement du ressort de la santé publique. Il s’agit fondamentalement d’une mission en faveur de l’inclusion sociale et nous devons renforcer les partenariats et approches qui nous y amèneront.

    En cette période de crise économique, l'engagement international contre le Sida - 8,2 milliards de dollars en 2011, dont 48% de la part des Etats-Unis - est-il menacé ?
    Depuis 2008, les financements internationaux n’ont pas augmenté et au contraire diminuent. Nous sommes en train d’entrer dans une période difficile où la responsabilité partagée va être essentielle pour le futur de la riposte. Il y a pourtant de bons indices. Pour la première fois, en 2011, le montant des fonds nationaux consacrés à la lutte contre le VIH a dépassé celui des investissements internationaux. Les pays à faibles revenus et à revenus intermédiaires ont investi 8,6 milliards de dollars dans la riposte contre le Sida, ce qui représente une augmentation de 11% par rapport à 2010.

    Bien que les investissements nationaux en faveur de la lutte contre le sida soient en augmentation, on constate un important déficit au niveau des financements internationaux en faveur de la lutte contre le VIH. On estime qu'en 2015, le déficit annuel sera de l'ordre de 7 milliards de dollars. Au cours de la réunion de haut niveau des Nations unies sur le Sida qui s'est tenue en 2011, les pays ont adopté une Déclaration politique sur le VIH/Sida, via laquelle ils ont accepté d'augmenter leurs investissements en faveur de la lutte contre le VIH à entre 22 et 24 milliards de dollars d'ici 2015. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire que tous les pays réalisent un effort concerté pour accroître les financements.

    Des stratégies durables pour assurer l’accès aux services de traitement et de prévention du VIH et autres services de santé en Afrique et dans le monde ne sont possibles que si nous adoptons une politique de responsabilité partagée et préconisons des solutions novatrices pour accélérer la riposte. Par exemple, la taxe sur les transactions financières pouvant non seulement contribuer à mettre fin au Sida mais aussi permettre l’amélioration de la santé, l’éducation et la sécurité sociale, serait un important pas en avant. L’investissement a démontré son importance - sur le plan domestique comme sur le plan international - pour l’espoir et l’avenir de tous. Notre richesse commune doit faire progresser le bien commun.

    Par Olivier de Cléry.


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